« J’aimerais
bien avoir un avis extérieur te concernant… » m’avait-elle confiée.
Mes
photos la laissaient perplexes.
Elle
voulait avoir une opinion plus objective que la mienne sur qui j’étais,
pourquoi, comment.
Se
rencontrer aurait été trop simple…
Je
n’étais plus le bel homme qu’elle avait repéré sur Meetic.
Je
lui envoyais souvent des photos, dès lors qu’elle m’en demandait. J’étais
devenu cet homme, blanc pâle à cause de la fatigue d’une collocation qui durait
trop, et affaibli pour cause de vacances trop lointaines, tant par le passé que
par le futur. Cet homme peu souriant… Car mal à l’aise de sourire en plein open-space,
en mode « je me prends en photo avec mon flash car tu me l’as
demandé… ».
Oui.
Il m’arrive d’être normal. Voire même de ne pas être au mieux de ma forme.
D’être
loin de ma « photogénie » surnaturelle, que je dois avoir 1 fois sur
1000.
Dans
l’ombre.
Lorsque
je ne sais pas qu’on me prend en photo.
Et
que je suis dans un contexte particulier.
Avec
des retouches d’images.
Avec
d’autres personnes sur moi…
Bref,
dans des contextes très particuliers. Mais bon, les photos sur Meetic, sont
censées représenter le « best of » des photos qu’on a…
Dans
mon cas, en tout cas ça l’était.
Et
ça, elle l’avait rapidement compris.
Mais
elle voulait en savoir plus sur moi.
Sur
mon physique. Sur mon caractère. Mon comportement. Sur la vision que je donnais
d’elle à mes proches. Sur tout ça.
Il
fallait que cela vienne d’une autre personne.
C’est
à ce moment qu’Aliénor est entrée en jeu.
Aliénor,
est une bloggeuse avec laquelle j’étais en contact plus ou moins suivi depuis
quelques années. Quarantenaire, mère des « 2 plus beaux enfants du
monde » (vive l’objectivité lui avais-je soufflé lorsqu’elle m’avait
déclaré ça), mariée, posée.
Une
vie tranquille de housewife plus ou
moins desperate en fonction des journées.
Lorsque
je lui avais parlé de mes projets de m’expatrier à l’étranger, elle m’avait
fait comprendre sa déception, qu’après toutes ces heures de tchat et d’échanges
par mails, nous ne nous étions jamais rencontrés « In Real Life ».
Et
puis le hasard avait voulu que j’atterrisse dans une société située à côté de
chez elle, près d’un grand centre commercial, composé de chouettes galeries
marchandes dans lesquelles elle aimait se perdre lors de journées de
«shopping », ou de ses journées de blues (qui rimaient aussi avec des
journées « shopping »).
Elle
avait tenté de m’expliquer pourquoi cela faisait du bien de dépenser de
l’argent lorsque ça n’allait pas, et pourquoi une femme devait avoir des
milliers de sacs et de paires de chaussures, mais je crois bien avoir reconnu
que les hommes (en tout cas celui que j’étais) n’étaient pas
« programmés » pour comprendre ce genre de comportement chez les
femmes.
Et
puis on a décidé de se voir. Pour de vrai.
La
première fois fut assez… étrange.
Elle,
me découvrait. Mettait une tête sur tous ces mails, tchats échangés.
Sur
les notes de mon précédent blog.
Sur
mes récentes souffrances.
Sur
mon corps de sportif s’entretenant et étant parano sur son alimentation.
Moi
je la découvrais. Dans son principal complexe inavoué, son corps, lui aussi en
mauvais rapport avec la nourriture.
Elle
n’avait jamais réussi à me faire comprendre qu’elle se considérait comme obèse.
J’avais du mal avec le concept de « Fat and proud » : « mais moi
je ne suis pas proud… je suis juste
faible » m’avait-elle confiée, presque honteuse.
Malgré
tout cela, nous sommes très vite devenus encore plus intimes.
Et
ce malgré nos 10 ans qui nous séparaient, sa vie de femme mariée par rapport à
ma vie de nouveau célibataire, ma vie d’homme pressé par rapport à sa vie de desperate housewife.
Rapidement,
je lui ai raconté mon histoire avec Veronica.
Peut-être
parce qu’elle était voyeuse… peut-être parce que j’étais exhibe.
Si
mon entourage, ma famille, mes lecteurs de blog semblaient tous affirmer avec
la même persuasion le fait que j’avais à faire à une mytho, elle, semblait
convaincue de tout la concernant. Son histoire. Son passé. Son identité. Son
physique.
Peut-être
son côté fleur bleue…
Ou
peut-être sa naïveté.
C’est
grâce à elle que j’ai compris plus de choses sur son comportement. Entre autre
sur ses colères.
Aliénor
était latine. Comme Veronica.
Alors
lorsque Veronica m’a demandé si j’avais une amie qui pourrait lui parler de
moi, avec des yeux de femmes, c’est tout de suite à Aliénor que j’ai pensé.
Parce
qu’elle était latine, parce qu’elles avaient la même passion : le
shopping.
Après
lui avoir promis monts et merveilles (restaurants onéreux, restaurants onéreux
voire même d’autres restaurants onéreux), Aliénor a fini par accepter d’établir
un contact avec Veronica. Avec le recul je crois qu’elle était un peu apeurée
mais aussi plutôt excitée d’avoir au téléphone cette fameuse femme qui faisait
battre mon cœur de pierre (et d’artichaut) depuis des mois.
Je
me souviendrais toujours de ce premier coup de fil, qu’Aliénor a donné à Veronica.
En oubliant de se mettre en « numéro privé », oubli qu’elle
regrettera moult fois par la suite…
« Elle
a l’air sympa. Là on parle en Espagnol. On se marre bien… »
La
peur n’avait duré que quelques instants.
Et
puis ce qui était initialement un simple coup de fil, est devenu un
interrogatoire dans un sens. Une confession dans un autre.
Veronica
s’est livrée sur des sujets très sensibles comme son rapport avec la nourriture
depuis la mort de ses parents. Son engagement sur un mois avec son ex.
C’est
durant un de ses premiers coups de fil (que j’appris plus tard), que Veronica
expliqua à Aliénor, qu’elle était l’esclave de son ex.
En
bonne pratiquante de « BDSM », elle n’était pas libre de partir sans
que son « maitre » la libère. Cela expliquant pourquoi un mois
durant, elle était radicalement persuadée, de ne pas flancher, et de ne pas
vouloir me voir : elle était profondément engagée, pour ne pas dire soumise.
C’est
lors de cette confidence, que je compris, avec 4 mois de retard, ce qu’elle
avait voulu dire lorsque dans les premiers mails, elle avait parlé de rapport
avec son ex de type « Sexe 2.0. Pervers ? Voyeur ? Ça te parle ? Je ne
t’en dis pas plus, tu risquerais de fuir en courant ».
C’est
une des excuses qui est revenue par la suite, m’expliquant pourquoi elle ne
pouvait pas s’abandonner à moi. Elle ne voulait pas me le dire pour me
« protéger ». Bien consciente que cette pratique était assez,
incomprise des non-initiés dont je faisais partie. Elle ne voulait pas que ce
genre de détails « salisse »
un peu plus sa tablette, déjà chargée la concernant.
« Pourquoi
ne me l’as-tu pas dit plus tôt ? »
« Je
t’ai menti pour te protéger ».
Mentir
pour protéger.
La
belle affaire.
Durant
ces premiers coups de fil, Aliénor fut harcelée en mode inquisitrice de
questions me concernant.
« Comment
est-il ? Est-il mignon ? Est-il grand ? Fort ? Oui ? Dans ce cas, pourquoi n’es-tu
jamais sortie avec lui ? Pourquoi ? Ah… Et si tu n’avais pas rencontrée ton
mari ? »
Chaque
question était savamment posée une première fois, avant d’être de nouveau posée
une seconde fois, d’une certaine manière déclinée.
Technique
de communication parfaitement bien huilée, qu’Aliénor avait compris trop
rapidement, se sentant à chaque fois un peu plus coupable d’en dire autant sur
moi.
Et
puis, les coups de fils se sont multipliés, Veronica étant en énième arrêt
maladie pour cause de grande fatigue.
Aliénor,
est vite (trop vite ?) devenue, selon Veronica « une bonne amie ».
Une
amie prête à tout.
Une
amie confidente. Compréhensive.
Sa
meilleure amie en fait.
A
tel point que parfois, je recevais un SMS de Veronica, me demandant si je
savais pour quelle raison Aliénor ne décrochait pas son téléphone.
Je
pars du principe de ne pas regretter les choses qui sont faites, partant du
principe qu’elles sont faites.
Mais
tant pour Aliénor, que pour l’évolution de notre relation, je crois que si ça
avait été à refaire… Je n’aurais jamais introduit Aliénor dans notre histoire.
Non,
cette histoire était la nôtre. La sienne. Celles de nos millions de lecteurs.
Mais
nous ne devions être que deux.
Il
était trop tard. Le numéro de téléphone n’était pas masqué, et en quelques
coups de fil, Aliénor s’est rapidement rendu compte de la lourde tâche de la
promotion improbable en tant que « meilleure amie de la vie » qu’elle
venait d’obtenir trop rapidement auprès de Veronica.
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