jeudi 23 mai 2013

La meilleure Amie


« J’aimerais bien avoir un avis extérieur te concernant… » m’avait-elle confiée.

 

Mes photos la laissaient perplexes.

Elle voulait avoir une opinion plus objective que la mienne sur qui j’étais, pourquoi, comment.

Se rencontrer aurait été trop simple…

 

Je n’étais plus le bel homme qu’elle avait repéré sur Meetic.

Je lui envoyais souvent des photos, dès lors qu’elle m’en demandait. J’étais devenu cet homme, blanc pâle à cause de la fatigue d’une collocation qui durait trop, et affaibli pour cause de vacances trop lointaines, tant par le passé que par le futur. Cet homme peu souriant… Car mal à l’aise de sourire en plein open-space, en mode « je me prends en photo avec mon flash car tu me l’as demandé… ».

 

Oui. Il m’arrive d’être normal. Voire même de ne pas être au mieux de ma forme.

D’être loin de ma « photogénie » surnaturelle, que je dois avoir 1 fois sur 1000.

Dans l’ombre.

Lorsque je ne sais pas qu’on me prend en photo.

Et que je suis dans un contexte particulier.

Avec des retouches d’images.

Avec d’autres personnes sur moi…

 

Bref, dans des contextes très particuliers. Mais bon, les photos sur Meetic, sont censées représenter le « best of » des photos qu’on a…

Dans mon cas, en tout cas ça l’était.

 

Et ça, elle l’avait rapidement compris.

 

Mais elle voulait en savoir plus sur moi.

Sur mon physique. Sur mon caractère. Mon comportement. Sur la vision que je donnais d’elle à mes proches. Sur tout ça.

Il fallait que cela vienne d’une autre personne.

 

C’est à ce moment qu’Aliénor est entrée en jeu.

 

Aliénor, est une bloggeuse avec laquelle j’étais en contact plus ou moins suivi depuis quelques années. Quarantenaire, mère des « 2 plus beaux enfants du monde » (vive l’objectivité lui avais-je soufflé lorsqu’elle m’avait déclaré ça), mariée, posée.

Une vie tranquille de housewife plus ou moins desperate en fonction des journées.

 

Lorsque je lui avais parlé de mes projets de m’expatrier à l’étranger, elle m’avait fait comprendre sa déception, qu’après toutes ces heures de tchat et d’échanges par mails, nous ne nous étions jamais rencontrés « In Real Life ».

 

Et puis le hasard avait voulu que j’atterrisse dans une société située à côté de chez elle, près d’un grand centre commercial, composé de chouettes galeries marchandes dans lesquelles elle aimait se perdre lors de journées de «shopping », ou de ses journées de blues (qui rimaient aussi avec des journées « shopping »).

Elle avait tenté de m’expliquer pourquoi cela faisait du bien de dépenser de l’argent lorsque ça n’allait pas, et pourquoi une femme devait avoir des milliers de sacs et de paires de chaussures, mais je crois bien avoir reconnu que les hommes (en tout cas celui que j’étais) n’étaient pas « programmés » pour comprendre ce genre de comportement chez les femmes.

 

Et puis on a décidé de se voir. Pour de vrai.

La première fois fut assez… étrange.

Elle, me découvrait. Mettait une tête sur tous ces mails, tchats échangés.

Sur les notes de mon précédent blog.

Sur mes récentes souffrances.

Sur mon corps de sportif s’entretenant et étant parano sur son alimentation.

Moi je la découvrais. Dans son principal complexe inavoué, son corps, lui aussi en mauvais rapport avec la nourriture.

Elle n’avait jamais réussi à me faire comprendre qu’elle se considérait comme obèse. J’avais du mal avec le concept de « Fat and proud » : « mais moi je ne suis pas proud… je suis juste faible » m’avait-elle confiée, presque honteuse.

 

Malgré tout cela, nous sommes très vite devenus encore plus intimes.

Et ce malgré nos 10 ans qui nous séparaient, sa vie de femme mariée par rapport à ma vie de nouveau célibataire, ma vie d’homme pressé par rapport à sa vie de desperate housewife.

 

Rapidement, je lui ai raconté mon histoire avec Veronica.

Peut-être parce qu’elle était voyeuse… peut-être parce que j’étais exhibe.

 

Si mon entourage, ma famille, mes lecteurs de blog semblaient tous affirmer avec la même persuasion le fait que j’avais à faire à une mytho, elle, semblait convaincue de tout la concernant. Son histoire. Son passé. Son identité. Son physique.

 

Peut-être son côté fleur bleue…

Ou peut-être sa naïveté.

 

C’est grâce à elle que j’ai compris plus de choses sur son comportement. Entre autre sur ses colères.

Aliénor était latine. Comme Veronica.

 

Alors lorsque Veronica m’a demandé si j’avais une amie qui pourrait lui parler de moi, avec des yeux de femmes, c’est tout de suite à Aliénor que j’ai pensé.

Parce qu’elle était latine, parce qu’elles avaient la même passion : le shopping.

 

Après lui avoir promis monts et merveilles (restaurants onéreux, restaurants onéreux voire même d’autres restaurants onéreux), Aliénor a fini par accepter d’établir un contact avec Veronica. Avec le recul je crois qu’elle était un peu apeurée mais aussi plutôt excitée d’avoir au téléphone cette fameuse femme qui faisait battre mon cœur de pierre (et d’artichaut) depuis des mois.

 

Je me souviendrais toujours de ce premier coup de fil, qu’Aliénor a donné à Veronica. En oubliant de se mettre en « numéro privé », oubli qu’elle regrettera moult fois par la suite…

« Elle a l’air sympa. Là on parle en Espagnol. On se marre bien… »

La peur n’avait duré que quelques instants.

 

Et puis ce qui était initialement un simple coup de fil, est devenu un interrogatoire dans un sens. Une confession dans un autre.

Veronica s’est livrée sur des sujets très sensibles comme son rapport avec la nourriture depuis la mort de ses parents. Son engagement sur un mois avec son ex.

 

C’est durant un de ses premiers coups de fil (que j’appris plus tard), que Veronica expliqua à Aliénor, qu’elle était l’esclave de son ex.

En bonne pratiquante de « BDSM », elle n’était pas libre de partir sans que son « maitre » la libère. Cela expliquant pourquoi un mois durant, elle était radicalement persuadée, de ne pas flancher, et de ne pas vouloir me voir : elle était profondément engagée, pour ne pas dire soumise.

 

C’est lors de cette confidence, que je compris, avec 4 mois de retard, ce qu’elle avait voulu dire lorsque dans les premiers mails, elle avait parlé de rapport avec son ex de type « Sexe 2.0. Pervers ? Voyeur ? Ça te parle ? Je ne t’en dis pas plus, tu risquerais de fuir en courant ».

 

C’est une des excuses qui est revenue par la suite, m’expliquant pourquoi elle ne pouvait pas s’abandonner à moi. Elle ne voulait pas me le dire pour me « protéger ». Bien consciente que cette pratique était assez, incomprise des non-initiés dont je faisais partie. Elle ne voulait pas que ce genre de détails « salisse »  un peu plus sa tablette, déjà chargée la concernant.

« Pourquoi ne me l’as-tu pas dit plus tôt ? »

« Je t’ai menti pour te protéger ».

 

Mentir pour protéger.

La belle affaire.

 

Durant ces premiers coups de fil, Aliénor fut harcelée en mode inquisitrice de questions me concernant.

« Comment est-il ? Est-il mignon ? Est-il grand ? Fort ? Oui ? Dans ce cas, pourquoi n’es-tu jamais sortie avec lui ? Pourquoi ? Ah… Et si tu n’avais pas rencontrée ton mari ? »

Chaque question était savamment posée une première fois, avant d’être de nouveau posée une seconde fois, d’une certaine manière déclinée.

Technique de communication parfaitement bien huilée, qu’Aliénor avait compris trop rapidement, se sentant à chaque fois un peu plus coupable d’en dire autant sur moi.

 

Et puis, les coups de fils se sont multipliés, Veronica étant en énième arrêt maladie pour cause de grande fatigue.

Aliénor, est vite (trop vite ?) devenue, selon Veronica « une bonne amie ».

Une amie prête à tout.

Une amie confidente. Compréhensive.

Sa meilleure amie en fait.

 

A tel point que parfois, je recevais un SMS de Veronica, me demandant si je savais pour quelle raison Aliénor ne décrochait pas son téléphone.

 

Je pars du principe de ne pas regretter les choses qui sont faites, partant du principe qu’elles sont faites.

Mais tant pour Aliénor, que pour l’évolution de notre relation, je crois que si ça avait été à refaire… Je n’aurais jamais introduit Aliénor dans notre histoire.

Non, cette histoire était la nôtre. La sienne. Celles de nos millions de lecteurs.

Mais nous ne devions être que deux.

 

Il était trop tard. Le numéro de téléphone n’était pas masqué, et en quelques coups de fil, Aliénor s’est rapidement rendu compte de la lourde tâche de la promotion improbable en tant que « meilleure amie de la vie » qu’elle venait d’obtenir trop rapidement auprès de Veronica.

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